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Comment un rapport de France Stratégie est détourné pour justifier la théorie du « grand remplacement »

Roter.Teufel

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Comment un rapport de France Stratégie est détourné pour justifier la théorie du « grand remplacement »

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Une étude de 2020 de l’organisme de réflexion rattaché à Matignon est régulièrement brandie pour documenter ce concept d’extrême droite. Elle ne prouve pourtant rien de cela.


« Pas de fatalité. Ni au grand déclassement ni au grand remplacement. » Cette expression xénophobe a été utilisée par Valérie Pécresse, la candidate des Républicains (LR), alors que ces termes étaient jusque-là employés essentiellement à l’extrême droite – par exemple, par Jordan Bardella ou Eric Zemmour. Forgé par l’écrivain Renaud Camus (condamné en 2014 pour provocation à la haine), ce concept théorise l’idée selon laquelle les populations immigrées venues d’Afrique et du Maghreb auraient « remplacé » numériquement, en l’espace d’une génération, les populations européennes. Son versant complotiste atteste même que cette « substitution numérique » s’opérerait avec la complicité des élites « mondialistes ».

Si Valérie Pécresse se défend en affirmant vouloir « combattre » une théorie qu’elle « déteste », le « grand remplacement » ne rebute pas tout le monde dans son camp. Le député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti y accole même une définition puisée dans une étude de France Stratégie : « Le “grand remplacement”, c’est l’étude du comité [Conseil] d’analyse économique de Matignon qui indique qu’il y a une modification de la population française », assure-t-il sur BFM-TV le 14 février. Cette même étude a été citée le lendemain, sur Sud Radio, par le maire de Perpignan, Louis Aliot (Rassemblement national, RN) : « Il y a un rapport sorti de France Stratégie (…) qui parle, dans un certain nombre de quartiers français, de “grand basculement” de la population. »

Alors que les questions d’immigration monopolisent le débat politique à deux mois de la présidentielle, cet exemple ne surprend guère. L’étude est souvent, depuis l’été de 2021, brandie à l’extrême droite et par la droite la plus conservatrice comme preuve statistique du « grand remplacement ». Pourtant, le rapport en question ne s’intéresse pas à une substitution démographique supposée de la population mais à la ségrégation résidentielle. Itinéraire d’une instrumentalisation très idéologique.
Un rapport d’abord passé inaperçu

Le 9 juillet 2020, l’organisme de réflexion rattaché à Matignon, France Stratégie, publie une étude accompagnée d’un outil de datavisualisation sur l’évolution de la ségrégation résidentielle en France de 1990 à 2015. Publiée au creux de l’été, l’étude est passée relativement inaperçue, trouvant davantage un écho auprès des administrations. A quelques exceptions près : Le Monde y avait consacré un article le 31 juillet 2020. Quelques médias issus de la fachosphère, tels les sites Fdesouche ou Breizh-Info, avaient également relayé le rapport.

« Nous définissons la ségrégation comme le degré d’inégale répartition d’une catégorie de population dans l’espace », explique le sociologue Pierre-Yves Cusset qui, avec l’économiste Clément Dherbécourt, cosigne cette étude. Et ce, à l’aide de plusieurs critères d’analyse : la catégorie socioprofessionnelle, le statut du logement, l’origine migratoire, etc. « La ségrégation résidentielle fait depuis des années l’objet de nombreux débats, avec l’idée communément admise qu’elle a tendance à augmenter », précise Clément Dherbécourt.

Pour mesurer ces phénomènes de ségrégation résidentielle, les auteurs de l’étude de France Stratégie ont passé au crible les 55 unités urbaines de France métropolitaine de plus de 100 000 habitants entre les années 1990 et 2015, grâce à la base Saphir de l’Insee, qui fournit des données harmonisées pour les recensements depuis 1968.

Ils ont observé la façon dont les personnes d’une certaine catégorie se répartissent entre les quartiers au sein d’une unité urbaine, en utilisant un indice de ségrégation qui mesure la part d’une catégorie sociale qui devrait déménager si l’on voulait obtenir une répartition homogène de cette catégorie dans tous les quartiers. Ainsi, plus cet indice (de 0 à 100) est élevé, plus les individus de la catégorie étudiée sont inégalement répartis et concentrés dans un seul endroit.

Résultat : hors agglomération parisienne, les Français sont aujourd’hui mieux répartis entre quartiers qu’en 1990. Prenons l’exemple des cadres : depuis trente ans, l’indice de ségrégation est stable (31 %) – sauf à Paris, où cet indice a augmenté, passant de 32 % à 36 %. Ainsi il faudrait que 31 % d’entre eux déménagent pour que leur part soit la même d’un quartier à l’autre d’une unité urbaine. Autre exemple : les immigrés d’origine extra-européenne et leurs enfants sont moins ségrégués, avec un indice très stable, qui est passé de 36 % à 33 % en moyenne.

Un article de « Causeur » attire l’attention

C’est la reprise de cette étude, un an après, par le site du magazine d’extrême droite Causeur, qui propulse ce rapport dans les radars politiques. Publié en août 2021 par un « observatoire de l’immigration et de la démographie », l’article évoque un « basculement démographique historique ». Mais Causeur ne se base non pas sur l’étude elle-même, mais sur l’outil de datavisualisation développé par France Stratégie, « sous forme de cartes qui permettent de suivre l’évolution, entre 1968 et 2017, de la composition sociodémographique des différents quartiers des 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants ».

L’« observatoire » s’attarde sur le pourcentage des 0-18 ans nés de parents immigrés extra-européens et son évolution depuis 1990 dans le département de la Seine-Saint-Denis : il constate un « basculement » de la population à La Courneuve, où 75 % des 0-18 ans sont nés de parents immigrés extra-européens. D’autres cartes de quartiers de Rennes et de Limoges, deux villes « qui n’ont jamais constitué des terres d’immigration au XXe siècle », démontreraient également ce « phénomène ».

L’article est alors relayé en nombre à l’extrême droite. Ainsi, Marine Le Pen estime que les « cartes révélant l’installation exponentielle d’immigrés extra-européens doivent être connues et comprises par tous les Français. » Le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier dénonce une France « de moins en moins française ».

Rien d’étonnant, selon le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus, pour qui ce courant politique a recours aux projections démographiques dans ses réquisitoires anti-immigration. « A l’époque de Jean-Marie Le Pen, il y avait un conseil scientifique qui avait tenté de chiffrer en 1990 le coût de l’immigration, un travail confié à l’énarque Pierre Milloz », cite en exemple le politologue. « Longtemps, le rapport Milloz a servi de boussole et d’objet pseudoscientifique de référence au Front national, mais ce rapport a été contesté : il s’agissait d’une pure construction idéologique, et aujourd’hui il est obsolète », éclaire M. Camus.

A droite, l’article de Causeur interroge également. Le député du Vaucluse Julien Aubert, évoque à son tour en août 2021, « le sujet tabou dont il faudra débattre en 2022 ». Tandis que la sénatrice des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer estime que « les cartes de France Stratégie (…) nous obligent à réfléchir et à agir face à l’archipélisation de notre pays ». Depuis, l’omniprésence des sujets liés à l’immigration dans la campagne présidentielle offre une caisse de résonance à ce rapport. Lors d’un débat entre les candidats à la primaire, le 8 novembre 2021, Eric Ciotti le mentionne comme preuve que « la population change ». Mais c’est chez Eric Zemmour pour qui, le « grand remplacement est une réalité », que le document se montre le plus utile. Il le mentionne à plusieurs reprises, comme sur BFM-TV face à Jean-Luc Mélenchon le 23 septembre 2021, à l’antenne de Sud Radio le 19 octobre, ou encore sur le plateau de l’émission « Elysée 2022 » sur France 2, le 9 décembre.

L’étude ne documente pas le « grand remplacement »

Ce document permet effectivement d’observer, depuis 1968, la composition sociale des quartiers au sein de 55 unités urbaines, et notamment la part des résidents d’origine immigrée extra-européenne. « On publie les données en open data pour que tout un chacun puisse les utiliser, mais on ne se pose pas la question de savoir comment elles vont être réutilisées », se défend Clément Dherbécourt, pour qui la ségrégation résidentielle demeure bien le sujet d’analyse principal.

Si les chiffres cités dans l’article de Causeur sont justes, l’interprétation comporte, elle, plusieurs biais. A commencer par l’extrême focalisation sur certains départements, comme la Seine-Saint-Denis, dont on sait qu’il est la première terre d’accueil en France pour les populations immigrées, alors que la situation nationale est moins « sensationnelle ». Ainsi, comme le souligne France Stratégie, pour les unités urbaines analysées de plus de 100 000 habitants entre 1990 et 2015 :

– la proportion d’immigrés d’origine extra-européenne est passée de 9 % à 15 % ;

– pour les moins de 18 ans, la part de ceux qui vivent avec au moins un parent immigré d’origine extra-européenne est passée de 16 % à 26 %.

Tandis qu’à l’échelle nationale :

– la proportion d’immigrés d’origine extra-européenne a augmenté de 5 % à 9 % ;

– pour les moins de 18 ans, la part de ceux qui vivent avec au moins un parent immigré d’origine extra-européenne est passée de 10 % à 16 %.

Une progression, certes, mais « prévisible depuis plusieurs décennies », qui n’est pas liée à une croissance « récente et spectaculaire de l’immigration », comme l’explique le sociodémographe de l’Institut national des études démographiques (Ined), Patrick Simon, au journal La Croix :

« En 1974, on arrête l’immigration de main-d’œuvre et à partir des années 1980, on a une immigration familiale, qui devient plus significative depuis la fin des années 1990. Ce qui aboutit logiquement à une hausse des enfants d’origine immigrée extra-européenne, comme cela a été le cas plusieurs décennies plus tôt pour les enfants d’origine portugaise, espagnole, italienne, polonaise. »

Les chiffres cités par Causeur ne tiennent pas non plus compte du phénomène de métissage de la population. « Plus de la moitié de l’augmentation des moins de 18 ans d’origine extra-européenne concerne des enfants ayant un seul parent immigré », constate M. Simon. Ainsi, « cela signifie que de plus en plus de Français ont un lien avec l’immigration sans forcément être immigrés ». Et de citer l’exemple d’une personne qui se marie avec un immigré et fait ainsi désormais partie d’une famille ayant un lien avec l’immigration : cela démontre une diversification de la population, non pas une « substitution » d’un peuple par un autre.

Un constat partagé par le démographe Hervé Le Bras, qui, dans une tribune au Monde, rejette le « grand remplacement », dans la mesure où les tenants de cette théorie xénophobe « considèrent en général que toute personne ayant un ascendant étranger à plusieurs générations de distance fait partie de la population envahisseuse ». Un déni de la mixité des origines qui est pourtant « une donnée aussi vieille que notre espèce puisqu’on trouve dans notre ADN des traces d’ADN de l’homme de Néandertal et de celui de Denisova », souligne-t-il.

Le Monde
 
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