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- Out 5, 2021
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Catherine Mayeur-Jaouen, historienne : « Le culte des saints musulmans ressemble assez à celui des pardons bretons »
Si le culte des saints musulmans a longtemps été une forme de piété populaire prégnante en islam, il est en train de disparaître sous la double pression de l’islam radical et de la modernité, explique la chercheuse Catherine Mayeur-Jaouen dans un entretien au « Monde ».
En 2012, les images de djihadistes détruisant des mausolées à Tombouctou, au Mali, avaient mis en lumière l’importance du culte des saints pour certains musulmans, en même temps que le rejet qu’il suscite chez d’autres. L’historienne Catherine Mayeur-Jaouen vient de consacrer une somme (Le Culte des saints musulmans. Des débuts de l’islam à nos jours, Gallimard, 622 pages, 28,50 euros) à l’histoire de cette dévotion.
Très longtemps, le culte des saints occupa une place centrale dans le paysage spirituel musulman. En ce début de XXIe siècle, il connaît toutefois un déclin marqué. Par le prisme de cette dévotion, Catherine Mayeur-Jaouen projette ainsi une lumière nouvelle sur l’histoire de l’islam dans son ensemble, et sur les mutations qu’il connaît aujourd’hui.
« Le Culte des saints » : le titre de votre livre fait écho à la dévotion chrétienne. Le culte des saints dans l’islam est-il similaire à ce qui existe dans le catholicisme ou l’orthodoxie ?
Catherine Mayeur-Jaouen : Chez les chrétiens catholiques ou orthodoxes comme chez les musulmans, le culte des saints consiste à adresser des prières à un individu singulier. Pour le reste, les différences sont nombreuses. Alors qu’un saint chrétien vit en général selon le modèle du Christ, les formes de sainteté sont plus diverses dans l’islam. Un ancêtre fondateur de la tribu, un compagnon de Mahomet, un combattant du djihad, un dynaste local peuvent devenir des saints vénérés.
Toutefois, la différence la plus fondamentale réside dans le rapport au corps du saint. Catholiques et orthodoxes vénèrent des reliques directes, c’est-à-dire les restes d’un corps. Dans l’islam, les mausolées n’abritent pas nécessairement la dépouille du saint. C’est que le saint musulman n’est pas mort comme l’est un individu ordinaire : il demeure présent dans l’Inconnu (le ghayb), un monde mystérieux qui sépare ici-bas et au-delà, et que seuls certains fidèles peuvent percevoir.
Dans votre ouvrage, vous insistez sur la dimension très locale du culte des saints musulmans. Est-ce un culte uniquement régional ?
Il a, en effet, pris la forme de dévotions locales, qui ressemblent assez aux pardons bretons, au sens où elles s’ancrent dans un terroir. Le culte des saints musulmans s’est épanoui au sein de sociétés prémodernes. L’existence des hommes et des femmes s’inscrivait alors dans un territoire qui les voyait naître, travailler, vivre leur foi, mourir… La multitude de mausolées associés au culte des saints permit ainsi d’islamiser les paysages dans lesquels les musulmans vivaient. On peut comparer cela aux chapelles, oratoires et calvaires qui ont christianisé les paysages d’Europe.
Le Monde
Si le culte des saints musulmans a longtemps été une forme de piété populaire prégnante en islam, il est en train de disparaître sous la double pression de l’islam radical et de la modernité, explique la chercheuse Catherine Mayeur-Jaouen dans un entretien au « Monde ».
En 2012, les images de djihadistes détruisant des mausolées à Tombouctou, au Mali, avaient mis en lumière l’importance du culte des saints pour certains musulmans, en même temps que le rejet qu’il suscite chez d’autres. L’historienne Catherine Mayeur-Jaouen vient de consacrer une somme (Le Culte des saints musulmans. Des débuts de l’islam à nos jours, Gallimard, 622 pages, 28,50 euros) à l’histoire de cette dévotion.
Très longtemps, le culte des saints occupa une place centrale dans le paysage spirituel musulman. En ce début de XXIe siècle, il connaît toutefois un déclin marqué. Par le prisme de cette dévotion, Catherine Mayeur-Jaouen projette ainsi une lumière nouvelle sur l’histoire de l’islam dans son ensemble, et sur les mutations qu’il connaît aujourd’hui.
« Le Culte des saints » : le titre de votre livre fait écho à la dévotion chrétienne. Le culte des saints dans l’islam est-il similaire à ce qui existe dans le catholicisme ou l’orthodoxie ?
Catherine Mayeur-Jaouen : Chez les chrétiens catholiques ou orthodoxes comme chez les musulmans, le culte des saints consiste à adresser des prières à un individu singulier. Pour le reste, les différences sont nombreuses. Alors qu’un saint chrétien vit en général selon le modèle du Christ, les formes de sainteté sont plus diverses dans l’islam. Un ancêtre fondateur de la tribu, un compagnon de Mahomet, un combattant du djihad, un dynaste local peuvent devenir des saints vénérés.
Toutefois, la différence la plus fondamentale réside dans le rapport au corps du saint. Catholiques et orthodoxes vénèrent des reliques directes, c’est-à-dire les restes d’un corps. Dans l’islam, les mausolées n’abritent pas nécessairement la dépouille du saint. C’est que le saint musulman n’est pas mort comme l’est un individu ordinaire : il demeure présent dans l’Inconnu (le ghayb), un monde mystérieux qui sépare ici-bas et au-delà, et que seuls certains fidèles peuvent percevoir.
Dans votre ouvrage, vous insistez sur la dimension très locale du culte des saints musulmans. Est-ce un culte uniquement régional ?
Il a, en effet, pris la forme de dévotions locales, qui ressemblent assez aux pardons bretons, au sens où elles s’ancrent dans un terroir. Le culte des saints musulmans s’est épanoui au sein de sociétés prémodernes. L’existence des hommes et des femmes s’inscrivait alors dans un territoire qui les voyait naître, travailler, vivre leur foi, mourir… La multitude de mausolées associés au culte des saints permit ainsi d’islamiser les paysages dans lesquels les musulmans vivaient. On peut comparer cela aux chapelles, oratoires et calvaires qui ont christianisé les paysages d’Europe.
Le Monde